J’écrivais en 2012, un premier article pour dire mon enthousiasme à la lecture du Dictionnaire de (presque) tous les nombres entiers de Daniel Lignon. Avec surprise et une certaine fierté, j’ai depuis été contacté par Daniel Lignon. Un message très agréable pour m’indiquer qu’il avait apprécié la lecture de ce petit billet sur mon blog. À cette occasion, il me signale la parution de la première édition en livre de poche ainsi que la deuxième édition de ce dictionnaire, une version mise à jour et augmentée, preque 20% d’informations en plus, dont il a eu la gentillesse de me faire parvenir un exemplaire.
C’est ainsi avec mes deux dictionnaires de (presque) tous les nombres entiers, posés sur mon canapé, que j’écris la mise à jour de cet article. Sans rien divulguer, mon enthousiasme n’a pas baissé !
Mon avis sur le dictionnaire de (presque) tous les nombres entiers

Daniel Lignon
Deuxième édition 2024
Un dictionnaire de (presque) tous les nombres entiers, quelle grande idée ! Et quel travail incroyable que cet ouvrage de 794 pages (presque 100 de plus que la première édition). Depuis 2012, ce dictionnaire a remporté le prix Tangente en 2013, prix amplement mérité où notre magazine de maths préféré parle « d’un livre qui fait aimer les mathématiques à un large public et donne envie d’en savoir plus sur elles. »
Dès l’avant-propos à la deuxième édition, on trouve quelques références qui sont autant de madeleines de Proust et de souvenirs de jeune adulte. Tout d’abord le premier dictionnaire francophone de ce genre, que j’avais emprunté adolescent à la bibliothèque du travail de mon père (à Clermont-Ferrand, Michelin avait sa médiathèque et ses petits camions bibliothèques qui se baladaient dans les quartiers populaires).

Une autre référence émotionnelle, quand Daniel Lignon remercie pour leurs conseils une série de célébrités mathématiques dont Stella Baruk, Simon Plouffe et surtout pour moi Paul-Louis Hennequin, que j’ai souvent croisé sur le campus des Cézeaux quand j’étais étudiant et plus tard à l’IREM de Clermont-Ferrand devenu enseignant. Un personnage incroyable, d’une culture éblouissante et d’une simplicité remarquable.
Ce dictionnaire est décliné en chapitre. Le premier, les Entiers de 0 à 9, commence forcément par le nombre 0. Une page dédiée à 0, une quinzaine au nombre 1. On comprend immédiatement que nous n’avons pas affaire à un livre ordinaire. Les articles sont parsemés de références à d’autres articles, de biographies et de citation littéraires et artistiques. Une fois avoir signalé que 0 est le cardinal de l’ensemble vide et le plus petit ordinal, quelques lignes plus bas nous voici avec Raymond Queneau et une citation : « Le zéro est la plus belle invention de l’esprit humain. » Et nous voici, sur la même page, la page 1, avec une biographie de Brahmagupta (598-668). Un joyeux mélange, très organisé.
Un livre qui se lit comme les livres dont vous êtes le héros de notre enfance, on passe son temps à naviguer d’une page à l’autre. On découvre un vocabulaire incroyable, nombres premiers, jumeaux, sexy, amis, amicaux, brésiliens sans parler des références aux mathématiciens, nombres de Fermat, de Mersenne, de Sophie Germain, d’Euler, de Fortune et autres Lucas, Padovan, Perrin… On les retrouve en fin d’ouvrage avec un index des personnalités non mathématicien et un autre avec seulement les mathématiciens. Je n’ai pas compté le nombre de références, au moins 500 !
Par exemple, allons faire un tour page 157, nous n’en sommes qu’au nombre entier 10. On apprend que 10 est composé, qu’il a quatre diviseurs et deux facteurs premiers. Il est aussi super-minimal, mais pour cela, il faut aller faire un tour page 588. C’est la page pour le nombre 6469 qui lui est un nombre premier minimal. Un cadre signale alors la définition de ces notions, je ne connaissais aucune d’entre elle. Revenons page 157, 10 est un nombre de Stirling. Il faut faire un tour dans l’index, Stirling est écrit en capitale. Il nous renvoie en page 428 où le nombre 171 nous attend avec une longue définition mathématique des nombres de Stirling et première et deuxième espèce. Daniel Lignon accorde 3 pages au nombre 10. On passe par des propriétés arithmétiques, 10 est un nombre brésilien, il nous parle des groupes d’ordre 10, Z/10Z et le groupe des symétries du pentagone régulier. Nous voici en géométrie avec un mot sur le théorème de Desargues, puis du plan projectif, d’un carré gréco-latin, des variétés de Fano, des 10 polytopes réguliers non convexes (il faudra faire un tour page 75) et des empilements de sphères. C’est copieux, roboratifs, stimulant. Je crois que l’on peut passer des heures dans ce labyrinthe dont on espère ne jamais trouver la sortie !
En ce qui me concerne, je me sers souvent du Dictionnaire de (presque) tous les nombres entiers de Daniel Lignon, pour préparer mes cours pour les collégiens. J’aime attiser leur curiosité en leur montrant des propriétés méconnues des nombres ordinaires. En cinquième récemment, dans le cadre de mon chapitre d’arithmétique, nous avons pu parler de nombres amiables, des nombres parfaits, de suites aliquotes. Je m’en sers comme de Wikipédia, un porte d’entrée vers des concepts mathématiques que je n’imaginais pas avant de lire la page que je cherchais.
Je vous ai parlé du premier chapitre, les nombres entiers entre 0 et 9 qui occupe les 155 premières pages. On cherche par amusement le premier nombre entier non cité dans ce dictionnaire. Daniel Lignon a prévu cette recherche, malicieusement, page 403, il nous signale le nombre 110 dont la particularité principale est, je cite : « C’est le premier nombre pour qui ce dictionnaire ne donne pas de propriété particulière : cela ne le rend pas remarquable pour autant… ! ». Un peu d’auto-référence ne fait jamais de mal.
Évidemment, pour ne pas avoir à répéter sans cesse les mêmes choses, certaines propriétés développées sur des petits nombres ne sont plus citées par la suite. L’objectif de l’auteur est de nous fournir un contenu le moins répétitif et le plus riche possible, pas de remplir inutilement les pages. Ainsi pour le chapitre des nombres entiers entre 100 et 199 qui occupe les pages 397 à 438, l’auteur commence par faire la liste des propriétés dont il ne parlera plus : nombres brésiliens, colombiens, chanceux et autres nombres solitaires.
Mais comment peut se terminer un tel dictionnaire ? Je ne crois pas commettre d’impair en vous révélant la fin. C’est d’ailleurs comme cela qu’on commence par lire ce dictionnaire. Le plus grand nombre entier cité de manière exhaustive sous forme décimale se trouve page 725, il s’agit de l’ordre du groupe sporadique appelé le bébé monstre : 4 154 781 481 226 426 191 177 580 544 000 000, 34 chiffres quand même pour dépasser les quatre quintillions ! Et ce n’est pas fini. Il reste des nombres de Mersenne, Daniel Lignon cite le cinquante-et-unième nombre parfait pair connu, $2^{82589932} \times (2^{82589933}-1)$ qui s’écrit avec 46~498~850 chiffres. Je suis très heureux de savoir que le cinquante-deuxième a été découvert le 21 octobre 2024, après la publication de cette deuxième édition. Cela laisse présager une troisième édition que nous sommes déjà impatient d’imaginer.
Dans cette dernière partie dédiée au très grand nombre, on croise le google, le googleplex mais aussi $10^{666}!$ le nombre de Leviathan ou encore $666!^{666!}$ le nombre de légion, gloire à Satan ! 🙂 La conclusion est laissée au nombre de Graham, dont je me garde bien de vous donner une description fine ici.

La conclusion de Daniel Lignon commence comme dans l’édition de 2012 : « Tout ensemble fini admet un plus grand élément ; ce dictionnaire s’arrêtera donc ici ». Il ajoute dans cette version une citation de Ronald Graham que je trouve géniale :
Le problème avec les entiers, c’est que seuls les petits nombres ont été étudiés. Peut-être que ce qui est passionnant n’apparaît que pour des nombres vraiment grands, des nombres dont nous ne pouvons saisir, ou même commencer à appréhender de manière précise. Peut-être que l’essentiel est vraiment inaccessible et que nous ne faisons que bricoler.
Nos cerveaux ont évolué afin de nous abriter de la pluie, trouver des baies et veiller à ne pas se faire tuer. Nos cerveaux n’ont pas suffisamment évolué pour nous aider à appréhender des nombres vraiment grands ou pour voir les choses en cent mille dimensions…
J’espère que ces quelques mots vont vous donner envie de consulter ce dictionnaire. Il s’agit d’un travail extraordinaire au sens premier du terme, un boulot d’exception. Si vous voulez découvrir les nombres abondants, amicaux, brésiliens, puissant, d’Achille, l’hyperfactorielle ou ceux de Sophie Germain, vous devez lire ce livre.
Et si vous avez près de vous une petite ou grande passionnée des mathématiques, voilà un cadeau qui ne manquera pas de lui plaire et de l’occuper infiniment. En ce qui me concerne, j’anime depuis longtemps un club de mathématiques dans mes établissements successifs, l’atelier Mirzakhani. J’aime montrer ce livre à mes petits curieux et grandes curieuses de l’atelier. Souvent ils sont fascinés par ce bouquin et passent, à plusieurs, de longues minutes à découvrir la richesse de ce vocabulaire. Je me retrouve alors dans la situation d’expliquer quelques notions dont la plupart me dépassent, mais quel plaisir partagé !
Pour finir de vous convaincre voici un extrait de ce dictionnaire, extrait disponible sur le site de l’éditeur. Avec cet extrait, vous saurez tout sur le zéro et un peu plus sur le 1.
Et puis la table des matières est géniale !!
Je viens de feuilleter rapidement le livre de Le Lionnais de 1983. Il utilisait le même principe, il était cependant beaucoup moins complet et beaucoup plus court. Le Lionnais faisait aussi une liste de nombre décimaux, rationnels et même transcendant. Ainsi, entre 0 et 1 on trouve 0,5 pour la conjecture de Riemann ou encore 0,577 215 664 9 la constante d’Euler. Il est amusant de constater dans ce livre de 1983 que le plus grand nombre parfait connu est seulement $2^{86242} \times (2^{86243}-1)$. Le Lionnais termine avec des nombres finis non déterminé, comme le nombre de Chaitin. Il termine avec quelques nombres complexes et un mot sur l’infini et les aleph. La conclusion est savoureuse :
Ces divers aspects se combinent pour indiquer une propriété générale : il y a de moins en moins de nombres remarquables en s’éloignant de zéro sur l’abscisse des « réels » positifs. Ils ont tendance à s’écarter de plus en plus les uns des autres et la densité de propriété décroît quand on avance dans le même sens. Cet évanouissement de la remarquabilité est-il lié objectivement à la nature des objets mathématiques étudiés ou traduit-il simplement une infirmité de l’intelligence humaine? De même, à quoi tient la « rareté» des nombres finis non réels ou celle des transfinis? Cette question est étroitement liée à celle des rapports entre les mathématiques et l’esprit humain. Quelle est l’origine de l’intérêt que les hommes portent aux nombres entiers et aux petits nombres? Cet intérêt est généralement subjectif mais rejoint une sorte de consensus puisque les mathématiciens s’accordent en gros à reconnaître comme remarquables certains nombres. On peut se demander si les sciences expérimentales et les rapports sociaux influent sur les mathématiciens pour les amener à cette constatation. Y a-t-il là une propriété objective des mathématiques indépendante de la pensée ?
Il faut en tout cas constater que les nombres remarquables sont petits et que le nombre des nombres remarquables est petit. Cela pourrait indiquer que le nombre des nombres remarquables est remarquable, ce qui tendrait à prouver que notre définition de la remarquabilité n’est pas complètement arbitraire.
Le Dictionnaire de (presque) tous les nombres entiers de Daniel Lignon vient donner un grand coup de jeune au livre de Le Lionnais. Beaucoup plus dense et mis à jour, il va jouer le même effet sur les curieux et amateurs de nombres.
La présentation de l’éditeur

Voici la quatrième de couverture de cette deuxième édition :
À quoi vous fait penser le nombre 13 ? Pour beaucoup c’est un nombre qui porte malheur… ou chance… Plus sérieusement, d’un point de vue mathématique, c’est un nombre premier. Mais savez-vous que c’est aussi un nombre de Fibonacci, un nombre de Fortune, que le carré de la somme de ses chiffres est égal à la somme des chiffres de son carré, qu’il y a 13 solides d’Archimède dont le fameux icosaèdre tronqué : c’est la forme d’un ballon de football…
Dans cet ouvrage, le lecteur découvrira les nombreuses propriétés des nombres, qu’elles soient liées à leur écriture dans le système décimal, comme pour 1 634 et 8 208, ou intrinsèques et indépendantes de leur écriture donc plus intéressantes : c’est le cas des deux autres exemples cités plus haut (28 et 496, 23 et 239). Il y rencontrera le système de numération employé par les Shadoks, les solides de Platon, les nombres sociables, les jumeaux magiques, les nombres vampires, le cercle d’Euler, les nombres heureux, abondants ou colossalement abondants, les nombres premiers jumeaux, cousins ou sexy… Toutes les notions introduites seront, bien sûr, expliquées dans de nombreux encadrés.
Au gré de cette promenade parmi les nombres entiers, on croisera aussi les mathématiciens les plus importants, toutes époques confondues : l’occasion de se rendre compte que l’histoire des mathématiques est avant tout une grande aventure humaine.
La première édition de ce livre, parue en 2012, a été récompensée par le prix Tangente en 2013. Cette édition a été mise à jour et de nouvelles propriétés ont été introduites.
Agrégé de mathématiques, Daniel Lignon a longtemps exercé dans l’enseignement supérieur. Depuis 2020, il collabore à la revue Tangente et fait partie de son comité de rédaction.
Voici la quatrième de la première édition :
À quoi vous fait penser le nombre 13 ? Pour beaucoup c’est un nombre qui porte malheur… ou chance… Plus sérieusement, d’un point de vue mathématique, c’est un nombre premier. Mais savez-vous que c’est aussi un nombre de Fibonacci, un nombre de Fortune, que le carré de la somme de ses chiffres est égal à la somme des chiffres de son carré, qu’il y a 13 solides d’Archimède dont le fameux icosaèdre tronqué : c’est la forme d’un ballon de football…
Qu’y a-t-il de commun entre 1 634 et 8 208, entre 28 et 496 ou entre 23 et 239 ? Les deux premiers sont égaux à la somme des puissances quatrièmes de leurs chiffres, 28 et 496 sont des nombres parfaits et les deux derniers ne peuvent pas s’écrire comme une somme de moins de neuf cubes.
Le lecteur découvrira les nombreuses propriétés des nombres, qu’elles soient liées à leur écriture dans le système décimal, comme pour 1 634 et 8 208, ou intrinsèques et indépendantes de leur écriture donc plus intéressantes : c’est le cas des deux autres exemples cités plus haut (28 et 496, 23 et 239). Il y rencontrera le système de numération employé par les Shadoks, les solides de Platon, les nombres sociables, les jumeaux magiques, les nombres vampires, le cercle d’Euler, les nombres heureux, abondants ou colossalement abondants, les nombres premiers jumeaux, cousins ou sexy… Toutes les notions introduites seront, bien sûr, expliquées dans de nombreux encadrés.
Au gré de cette promenade parmi les nombres entiers, on croisera aussi les mathématiciens les plus importants, toutes époques confondues : l’occasion de se rendre compte que l’histoire des mathématiques est avant tout une grande aventure humaine. En plus d’un glossaire, plusieurs index permettent de retrouver facilement la définition, le concept ou le mathématicien recherché.
Et la présentation de l’éditeur Ellipses :
Dans cet ouvrage, le lecteur découvrira de nombreuses propriétés des nombres entiers, qu’elles soient liées à leur écriture dans le système décimal ou intrinsèques et indépendantes de leur écriture donc plus intéressantes.
Il y rencontrera, par exemple :
- le système de numération employé par les Shadoks,
- les solides de Platon,
- les nombres sociables,
- les jumeaux magiques,
- les nombres vampires,
- le cercle d’Euler,
- les nombres heureux, abondants ou colossalement abondants,
- les nombres premiers jumeaux, cousins ou sexy…
Toutes les notions introduites seront, bien sûr, expliquées dans de nombreux encadrés.
Au gré de cette promenade, on croisera aussi les mathématiciens les plus importants, toutes époques confondues : l’occasion de se rendre compte que l’histoire des mathématiques est avant tout une grande aventure humaine.
La première édition de ce livre, parue en 2012, a été récompensée par le prix Tangente en 2013. Cette édition a été mise à jour et de nouvelles propriétés ont été introduite
Le dictionnaire de (presque) tous les nombres entiers : prix Tangente 2013
Je vous invite à lire les raisons de ce choix sur le site Infini Maths.

Caractéristiques du dictionnaire
- Éditeur : Ellipses 2e édition (5 novembre 2024)
- Langue : Français
- Broché : 794 pages
- ISBN-10 : 2340098211
- ISBN-13 : 978-2340098213
- Poids de l’article : 1,38 kg
- Dimensions : 17.5 x 4.3 x 24 cm
Quelques extraits de critiques concernant ce livre :
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