Rares sont les problèmes aussi célèbres en mathématiques. Le théorème de Fermat que l’on nomme aujourd’hui le théorème de Fermat-Wiles fait partie de ces légendes. Longtemps, plus de 300 ans, ce résultat est restée la conjecture de Fermat, puis alors que sa véracité n’était plus remise en cause malgré l’absence de preuve, il est devenu le dernier théorème de Fermat ou le grand théorème de Fermat.
Dans cet article je vais tenter de vous décrire quelques éléments de cette histoire.
Les triplets pythagoriciens
La tablette de Plimpton
La question que se pose Fermat en 1660 trouve ses origines près de 3000 ans auparavant en Irak. C’est en effet sur la tablette Plimton 322 découverte au XIX ème siècle que l’on trouve les premières traces de ce que nous appelons aujourd’hui des triplets pythagoriciens.
Nous connaissons tous le fameux théorème de Pythagore qui affirme de manière poétique au sujet des triangles rectangles :
Le carré de l’hypoténuse
Est égal, si je ne m’abuse,
À la somme des carrés
Des deux autres côtés.
Ainsi un triangle mesurant 3, 4 et 5 unités est un triangle rectangle puisque $latex 3^2+4^2=5^2$
On dit que (3,4,5) est un triplet pythagoricien. On réserve cette dénomination aux triplets positifs et entiers.
Sur la tablette acheté en 1922 par Georges Arthur Plimpton à un marchand d’objets archéologiques se trouve quinze triplets pythagoriciens en écriture sexagésimale. On ne sait pas la nature de ce document, est-ce un précurseur de la trigonométrie ou un document didactique pour exercer des étudiants. Quoi qu’il en soit il prouve que vers 1800 avant notre ère le théorème de Pythagore était connu par les babyloniens et que cette recherche de triplets intéressait déjà les mathématiciens de l’époque.
Les triplets que l’on trouvent sur cette tablette ne sont pas les plus simples, on ne trouve pas (3,4,5) par exemple, ce qui laisse penser à un document pour l’apprentissage.
Voici les quinze triplets de la tablette Plimpton 322 :
- (119, 120, 169)
- (3 367,3 456,4 825)
- (4 601, 4 800, 6 649)
- (12 709, 13 500, 18 541)
- (65, 72, 97)
- (319, 360, 481)
- (2 291, 2 700, 3 541)
- (799, 960, 1 249)
- (481, 600, 769)
- (4 961, 6 480, 8 161)
- (45, 60, 75)
- (1 679, 2 400, 2 929)
- (161, 240, 289)
- (1 771, 2700, 3 229)
- (56, 90, 106)
Étranges n’est-ce pas ? Pourquoi ces triplets sont-ils aussi compliqués ?
Tous ces triplets sont primitifs, sauf le n°11, (45, 60, 75) qui un multiple de (3, 4, 5), le n°15 qui est un multiple de (28, 45, 53). Signalons en effet que pour un triplet Pythagoricien donné, on peut en trouver une infinité d’autres en multipliant chaque terme par le même nombre entier. Un triplet n’étant multiple d’aucun autre ou en terme plus technique, dont les termes sont premiers entre eux ou encore dont le plus grand diviseur commun est 1, est un triplet primitif.
Pythagore
On se demande alors ce que l’on doit réellement à Pythagore si le théorème qui porte traditionnellement son nom n’est pas de lui ?
C’est vrai qu’on possède peu d’informations sur Pythagore de Samos qui vécu vers le VI ème siècle avant notre ère.
Recherche de tous les triplets pythagoriciens
Pour chercher les triplets pythagoriciens primitifs, il faut d’abord raisonner sur la parité des termes de ces triplets.
Quelques propositions simples vont nous y aider :
- la somme de deux nombres pairs est paire ;
- la somme de deux nombres impairs est paire ;
- la somme de deux nombres pair et impairs est impaire ;
- le carré d’un nombre pair est pair ;
- le carré d’un nombre impair est impair.
Pour fixer les choses donnons-nous un triplet pythagoricien primitif (x,y,z).
x et y ne peuvent être simultanément pair, sinon z serait pair et le triplet non primitif.
Soit x et y sont impairs et dans ce cas z est pair. Soit x est impair et y est pair et z est impair.
Pour distinguer ces deux cas nous devons faire un peu d’arithmétique en observant les restes dans la division euclidienne par 4.
Supposons que (x,y,z) soit pythagoricien primitif et que x et y soit impairs. Dans ce cas z est pair.
Notons x=2k+1 et y=2l+1, ainsi $latex x^2+y^2=4k^2+4k+4l^2+4l+2$. $latex x^2+y^2$ a donc un reste de 2 dans la division par 4. Or comme z est pair, $latex z^2$ est un multiple de 4 et le reste est nul. D’où une contradiction.
Finalement dans un triplet pythagoricien primitif (x,y,z), x est impair, y est pair et z est impair.
On peut ensuite montrer que (x,y,z) est un triplet primitif pythagoricien si et seulement si il existe deux nombres entiers p et q, p>q, premiers entre eux et de parité différente tels que :
$latex x=p^2-q^2\ \ y=2pq\ et\ z=p^2+q^2$
Pour la démonstration vous pouvez suivre ce lien.
Une formulation équivalente dit que (x,y,z) est un triplet pythagoricien primitif avec x impair si et seulement si il existe deux nombres entiers impairs premiers entre eux m et n, m>n, tels que
$latex x=mn\ \ y=\dfrac{m^2-n^2}{2}\ \ et\ \ z=\dfrac{m^2+n^2}{2}$
Ce résultat montre par exemple que tout nombre impair fait partie d’un triple pythagoricien primitif ( il suffit de prendre n=1 ).
Voici quelques exemples : les 16 triplets primitifs dont tous les termes sont inférieurs à 100.
m | n | x | y | z |
3 | 1 | 3 | 4 | 5 |
5 | 1 | 5 | 12 | 13 |
5 | 3 | 15 | 8 | 17 |
7 | 1 | 7 | 24 | 25 |
7 | 3 | 21 | 20 | 29 |
7 | 5 | 35 | 12 | 37 |
9 | 1 | 9 | 40 | 41 |
9 | 5 | 45 | 28 | 53 |
9 | 7 | 63 | 16 | 65 |
11 | 1 | 11 | 60 | 61 |
11 | 3 | 33 | 56 | 65 |
11 | 5 | 55 | 48 | 73 |
11 | 7 | 77 | 36 | 85 |
13 | 1 | 13 | 84 | 85 |
13 | 3 | 39 | 80 | 89 |
13 | 5 | 65 | 72 | 97 |
Il y a donc 51 triplets pythagoriciens dont les termes sont tous inférieurs à 100, il suffit de compter les multiples.
Diophante et les équations diophantiennes
Diophante d’Alexandrie est un personnage encore plus mystérieux que Pythagore. Il vécu entre I er siècle avant notre ère et le IV ème après notre ère… c’est vague. Il est connu pour son ouvrage Arithmétique en partie perdu. On connait aussi l’épitaphe qui lui est attribuée :
Passant, sous ce tombeau repose Diophante,
Et quelques vers tracés par une main savante
Vont te faire connaître à quel âge il est mort :
Des jours assez nombreux que lui compta le sort,
Le sixième marqua le temps de son enfance ;
Le douzième fut pris par son adolescence.
Des sept parts de sa vie, une encore s’écoula,
Puis, s’étant marié, sa femme lui donna
Cinq ans après un fils qui, du destin sévère
Reçut de jours, hélas ! deux fois moins que son père.
De quatre ans, dans les pleurs, celui-ci survécut :
Dis, si tu sais compter, à quel âge il mourut.
Je vous laisse trouver son âge, même si on peut douter de la véracité de ce poème.
En hommage à cet étrange mathématicien on a nommé équation diophantienne les équations polynomiales dont les solutions sont des nombres entiers. Ainsi les triplets pythagoriciens sont les solutions de l’équation diophantienne :
$latex x^2+y^2=z^2$
La même équation de degré 1 n’a pas beaucoup d’intérêt, elle correspond à l’addition de deux nombre entiers.
$latex 1^1+2^1=3^1$
L’oeuvre de Diophante atteignit l’Europe en 1463 quand le mathématicien allemand Johann Müller découvrit une copie des Arithmétiques à Venise. C’est en 1621 que Bachet de Méziriac publia à Paris une nouvelle traduction en grec et en latin. C’est cette traduction qui impulsa la théorie des nombres naissante.
C’est dans le Livre II, au problème 8 que va naître une des conjectures les plus célèbres de l’histoire des mathématiques.
La conjecture de Fermat
Pierre de Fermat
Pierre de Fermat est né dans la première décennie du XVII ème siècle ( peut-être 1601 ? ) à Beaumont-de-Lomagne dans le Tarn-et-Garonne près de Toulouse. Avocat à Bordeaux puis membre du parlement de Toulouse il poursuit une carrière de mathématicien. Il est souvent surnommé le prince des amateurs. Il souhaite rétablir les connaissances grecques en mathématiques et reste en correspondance avec les mathématiciens de son époque comme Marin Mersenne, Torricelli, Carcavi, John Wallis.
Les travaux de Fermat vont initier le futur calcul différentiel, son débat avec Descartes à ce sujet reste fondateur.
Connu pour son érudition et ses connaissances polymorphes, Fermat a poursuivi tout au long de sa vie sa double carrière de magistrat et de mathématicien. Il meurt à Castres le 12 janvier 1665.
C’est en 1670 que le fils de Pierre de Fermat publie une édition des Arithmétiques de Diophante annoté par son père.
La marge la plus célèbre de l’histoire des mathématiques
C’est donc en marge du problème 8 du Livre II des Arithmétiques de Diophante dans l’édition de Bachet que Pierre de Fermat à écrit cette fameuse note :
D’autre part, un cube n’est jamais somme de deux cubes, une puissance quatrième n’est jamais somme de deux puissances quatrièmes, et plus généralement aucune puissance supérieure stricte à 2 n’est somme de deux puissances analogues. J’ai découvert une merveilleuse démonstration, mais la marge est trop étroite pour la contenir.
Le problème 8 posé par Diophante était le suivant :
Diviser un nombre carré en une somme de deux carrés.
Au sens des équations diophantiennes, la conjecture émise par Fermat dit que l’équation :
$latex x^n+y^x=z^n$
n’admet aucune solution entière pour n supérieur ou égal à 3.
La conjecture de Fermat
Nous avons vu de nombreuses solutions de l’équation précédente pour n=2 : les triplets pythagoriciens. On se demande bien pourquoi cela ne marcherait pas pour les puissances suivantes et en particulier n=3.
On peut tester cette conjecture :
$latex 3^3+4^3=91$ or $latex 5^3=125$ le triplet (3, 4, 5) n’est pas une solution cette fois-ci.
$latex 5^3+6^3=341$ et $7^3=343$ … on approche !
$latex 6^3+8^3=728$ et $latex 9^3=729$… on est pas passé loin !!
Bref… quelque chose semble ne pas fonctionner.
Plus troublant encore $latex 3^3+4^3+5^3=6^3$ ou encore $latex 7^3+14^3+17^3=20^3$
D’ailleurs Omer Simpson aurait résolu cette conjecture :
Si $latex 3~987^{12}+4~365^{12}=4~472^{12}$ alors Homer est un génie !
La calculatrice de bureau ne suffit pas pour lever le doute, il faut un vrai calculateur comme Wolfram :
$latex 3~987^{12}+4~365^{12}=63 976 656 349 698 612 616 236 230 953 154 487 896 987 106$
$latex 4~472^{12}=63 976 656 348 486 725 806 862 358 322 168 575 784 124 416$
Ces pseudo-solutions n’y changent rien… la conjecture resista resista…
Les démonstrations successives du théorème de Fermat
Le cas n=4
Fermat démontra sa conjecture pour n=4. Cette démonstration est une conséquence d’une autre affirmation de Diophante selon laquelle un triangle rectangle dont les côtés sont des nombres entiers, donc un triplet pythagoricien, ne peut avoir une aire égale au carré d’un entier. C’est à dire que le système d’équations :
$latex x^2+y^2=z^2\ et\ xy=2u^2$
ne possède pas de solutions entières.
Fermat utilise pour cela une méthode fructueuse dont il est l’auteur : la méthode de la descente infinie. De manière grossière cette méthode consiste à faire l’hypothèse de l’existence d’une telle solution et d’en déduire l’existence d’un autre quadruplet de solutions inférieurs au quadruplet précédent. En recommençant ce raisonnement on se butte au plus petit nombre entier naturel 0 d’où la contradiction. Pour plus de détails au sujet du théorème de Fermat sur les triangles rectangles on peut consulter cette page Wikipédia.
Fermat en déduit ensuite son théorème pour n=4.
En effet soit un triplet d’entiers vérifiant $latex x^4+y^4=z^4$
Posons $latex c=z^4+x^4$ on a $latex c^2=(z^4+x^4)^2=x^8+2z^4x^4+x^8$
On peut écrire aussi $latex c^2=z^8-2z^4x^4+x^8+4x^4z^4=(z^4-x^4)^2+4x^4z^4=y^8+4x^4z^4$
En posant $latex b=2x^2z^2$ et $latex a=y^4$ on obtient $latex c^2=a^2+b^2$
Ainsi le triplet (a,b,c) est pythagoricien.
Observons $latex ab=y^4\times 2x^2z^2=2(xzy^2)^2$
Le triplet (a,b,c) serait pythagoricien et l’aire du triangle obtenu est un carré : cela contredit le théorème de Fermat sur les triangles rectangles.
Passage au cas où n est un nombre premier
Partant de l’affirmation selon laquelle un nombre entier supérieur à 2 est :
- soit un multiple de 4 ;
- soit divisible par un nombre premier impair.
La recherche des solutions de $latex x^n+y^n=z^n$ peut se disjoindre en deux cas :
- si n est un multiple de 4 alors $latex x^{4n’}+y^{4n’}=z^{4n’}$ soit $latex {x^{n’}}^4+{y^{n’}}^4={z^{n’}}^4$ qui n’a pas de solution
- si n et divisible par un nombre premier impair p alors $latex x^{pn’}+y^{pn’}=z^{pn’}$ soit $latex {x^{n’}}^p+{y^{n’}}^p={z^{n’}}^p$
Fermat, l’un des géomètres dont les travaux contribuèrent le plus à accélérer la découvertedes nouveaux calculs, cultiva avec un grand succès la science des nombres, et s’y fraya des routes nouvelles. On a de lui un grand nombre de théorèmes intéressants, mais il les a laissé presque tous sans démonstration. C’était l’esprit du temps de se proposer des problèmes les uns aux autres. On cachait le plus souvent sa méthode, afin de se réserver des triomphes nouveaux tant pour soi que pour sa nation; car il y a vait surtout rivalité entre les géomètres français et les anglais. De là il est arrivé que la plupart des démonstrations de Fermat ont été perdues, et le peu qui nous en reste nous fait regretter d’autant plus celles qui nous manquent.
Le cas n=3
Cette fois-ci c’est en Suisse qu’il faut aller trouver une première démonstration. Léonhard Euler né en 1706 à Bâle a passé une grande partie de sa vie en Russie. Il meurt en 1783 à Saint-Petersbourg. C’est un des plus grands mathématiciens de son temps et même de tous les temps. On lui doit une grande partie des notations modernes, entre autre au sujet des fonctions, des résultats en en arithmétique, en analyse, en mécanique, en astronomie.
C’est donc en fait à Saint-Petersbourg que Léonhard Euler démontra le théorème de Fermat dans le cas n=3. Malheureusement il commet dans son raisonnement une erreur historique puisqu’elle va conduire à une des théories les plus importantes du XIX ème siècle sur les nombres entiers algébriques.
Pour cette démonstration, Euler utilise la méthode de la descente infinie de Fermat. Sans rentrer dans les détails que vous pourrez lire ici, Euler utilise dans cette démonstration des nombres sous la forme $latex a+ib\sqrt{3}$ où a et b sont des entiers et i le nombre imaginaire dont le carré vaut -1.
Ces nombres se comportent un peu comme des nombres entiers : on peut les ajouter, les multiplier.
$latex (1+i\sqrt{3})(2+3i\sqrt{3})=2+3i\sqrt{3}+2i\sqrt{3}-3\times3=-7+5i\sqrt{3}$
Cet ensemble s’appelle en mathématiques modernes un anneau, on dit même que c’est l’anneau des entiers de Gauss en hommage à un autre mathématicien dont on parlera plus tard.
L’erreur d’Euler consiste à penser que ces nombres peuvent se décomposer de manière unique en facteurs premiers comme les entiers classiques. Or c’est faux pour les entiers de Gauss :
$latex 4=2\times 2=(1+i\sqrt{3})(1-i\sqrt{3})$
Ce manque de rigueur d’Euler est certainement une conséquence de sa puissance mathématique que révèlent son imagination et son esprit inventif extraordinaire. Il était capable de voir de nouveau lien entre les problèmes et cette idée de factoriser des nombres en utilisant des nombres complexes est tout simplement génial.
En remaniant un peu sa démonstration on arrive à traiter le cas n=3, voir pour cela cette référence.
Cette erreur eu le mérite de permettre aux mathématiciens du XIX ème siècle de travailler sur ces anneaux d’entiers si particuliers. Les notions d’anneaux factoriels, euclidiens… ont émergé de ce travail collossal.
Les cas suivants
Au XIX ème siècle les mathématiques mises en oeuvre pour démontrer ce théorème vont devenir de plus en plus complexes.
Citons Gustav Lejeune Dirichlet et Adrien-Marie Legendre qui dans les années 1820 démontrent le théorème dans le cas n=5.
Une avancée de Sophie Germain
On peut aussi parler du théorème de Sophie Germain qui grossièrement affirme que si un nombre premier est un nombre premier de Sophie Germain alors le théorème de Fermat est vrai. Voir cet exercice corrigé issu des oraux X/ENS pour plus d’explication.
Un nombre premier de Sophie Germain est un nombre premier p tel que 2p+1 soit aussi un nombre premier.
2, 3, 5, 11, 23, 29, 41, 53, 83, 89 sont les nombres premiers de Sophie Germain inférieurs à 100.
Sophie Germain est une mathématicienne française spécialiste d’arithmétique du XIX ème siècle. Le théorème de Fermat fut un de ces sujets d’étude. En 1804, c’est au sujet de ce théorème qu’elle rentra en contact de manière épistolaire avec Carl Fiedrich Gauss le plus grand mathématicien de son temps. La difficulté pour une femme de faire des études scientifiques l’oblige à le contacter sous un faux nom : Antoine Auguste Le Blanc. Il lui était interdit de s’inscrire à l’École Polytechnique de Paris, et c’est sous ce faux nom qu’elle obtient des notes de cours et qu’elle rengtre en contact avec les mathématiciens de l’époque dont Lagrange et Gauss. Grâce à Lagrange qui découvre sa véritable identité elle devient professeur.
Quand à son tour Gauss découvre la véritable identité de Sophie Germain, sa réaction est édifiante :
Comment vous décrire mon admiration et mon étonnement, en voïant se metamorphoser mon correspondant estimé M. Leblanc en cette illustre personnage, qui donne un exemple aussi brillant de ce que j’aurois peine de croire. Le goût pour les sciences abstraites en général et surtout pour les mysteres des nombres est fort rare : on ne s’en étonne pas ; les charmes enchanteurs de cette sublime science ne se decelent dans toute leur beauté qu’à ceux qui ont le courage de l’approfondir. Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui, par nos mœurs et par nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés, que les hommes, à se familiariser avec ces recherches épineuses, sait neanmoins franchir ces entraves et penétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble courage, des talens tout à fait extraordinaires, le génie supérieur. En effet, rien ne pourroit me prouver d’une manière plus flatteuse et moins équivoque, que les attraits de cette science, qui ont embelli ma vie de tant de jouissances, ne sont pas chimériques…
L’apport de Kummer
Ernst Eduard Kummer est un arithméticien Allemand. Dès 1840 il découvre que pour certains problèmes de la théorie des nombres, tel que le théorème de Fermat, la propriété la plus importante des entiers était leur décomposition unique en facteurs premiers. Il a tenté de montrer une propriété semblable pour des entiers cyclotomiques, ce sont ce que l’on appelle les racines nième de l’unité. Kummer est alors arrivé à la conclusion que la décomposition n’était pas unique.
D’ailleurs en 1847, le mathématicien Grabriel Lamé présente à l’Académie des Sciences de Paris une démonstration du théorème de Fermat.. Nageant dans un bonheur optimiste, il présente son résultat. Cependant dès les premières lignes de sa démonstration, Joseph Liouville membre de l’Académie, se leva pour mettre en doute la démonstration en avançant l’argument de non unicité de la factorisation. Lamé fut tout penaud de s’être si lourdement trompé et surtout d’avoir publié sa démonstration. Il écrit alors à son ami Dirichlet :
Si seulement vous aviez été à Paris ou si j’avais été à Berlin, tout cela ne serait pas arrivé.
Kummer formalise ici l’erreur commise par Euler dans le cas n=3. Kummer crée ensuite en 1847 une théorie pour dépasser ce problème de factorisation unique en passant à des nombres idéaux. La théorie de la factorisation des idéaux est certainement une des découvertes les plus importantes du XIX ème siècle en mathématiques. Cela prouve une nouvelle fois que la recherche d’une solution à un problème, comme le théorème de Fermat, peut permettre de développer de nouvelles théories très prolifiques et inattendues.
Kummer crée des conditions sur les nombres premiers pour que le théorème de Fermat soit vrai. De tels nombres premiers vérifiant les conditions de Kummer sont dit réguliers.
La définition des nombres réguliers est très compliqué puisqu’elle fait appel à des connaissances de mathématiques très compliquées. Signalons cependant que certains nombres premiers sont irréguliers comme 37, 59, 67, 101, 103, 131, 149, 157… Ainsi le théorème de Fermat est démontré par Kummer pour tous les nombres premiers réguliers. Kummer se demandait ensuite combien il y avait de nombres premiers irréguliers. On sait aujourd’hui qu’il y en a une infinité et que la proportion des nombres premiers irréguliers parmi les nombres premiers est 39,35 %.Le théorème de Fermat est donc démontré pour 60,5 % des nombres premiers et tous les nombres composés. Pas mal !
Mais quoiqu’il en soit, il reste une infinité de nombres qui résistent à ce raisonnement et l’aventure est loin d’être terminée.
Les avancées du XX ème siècle
L’arrivée des ordinateurs
Wieferich démontra en 1909 qu’une certaine sorte de nombres premiers pouvaient avoir des solutions dans l’équation de Fermat, résultat amélioré par Mirimanoff en 1910.
En 1954 Vandiver qui avait amélioré les résultats précédents vérifia avec un ordinateur tous les exposant jusque 2 552. Dans les années 70 ce résultat passe à 4 000 000.
Quoi qu’il en soit, et bien qu’il paraisse alors sur que la conjecture de Fermat soit vraie, il manque encore une démonstration générale. Et ce ne sont pas les progrès de l’informatique qui permettent d’avancer sur cette question
L’approche moderne du théorème de Fermat
Il est impossible dans cet article de rentrer dans les détails des théories mathématiques nécessaires à la compréhension du dernier théorème de Fermat. D’ailleurs je serai moi même bien en difficulté si je devais expliquer les notions qu’il met en œuvre. Juste pour employer des mots compliqués, la résolution de ce problème passe par les fonctions elliptiques, les extensions galoisiennes et les formes modulaires, autant de thèmes du XX ème siècle qui demandent chacun l’exigence habituelle des mathématiques et un travail considérable pour être utilisé conjointement.
Je ne peux que vous inciter à vous plonger dans le merveilleux livre de Yves Hellegouarch – Invitation aux mathématiques de Fermat-Wiles, pour commencer à vous initier à cette théorie. Personnellement ce livre trône fièrement dans ma bibliothèque mais je ne comprends dans le détail aucune des notions abordées. C’est comme un film d’une grande beauté en chinois non sous titré… mais c’est tellement beau !!
Andrew Wiles : la fin de l’histoire
Une passion pour le théorème de Fermat
Andrew Wiles est né en 1953, il est professeur à l’université d’Oxford en Angleterre.
À l’âge de 10 ans, en 1963, Andrew Wiles est déjà fasciné par les mathématiques. Un jour à la bibliothèque il découvre une conjecture énoncée en 1641 par le mathématicien Pierre de Fermat. L’apparente simplicité du problème fascine le jeune Andrew. Habituellement, en mathématiques, la moitié de la difficulté consiste à comprendre la question. Mais ici, même un garçon de 10 ans pouvait bien la comprendre. Andrew s’affaira alors naïvement à appliquer son bagage limité en mathématique à la résolution de ce problème. Ce fut en vain il va s’en dire, mais ce problème ne devait plus le quitter.
7 ans de travail solitaire
En 1986 Wiles abandonna tout travail qui n’intéressait pas directement le dernier théorème de Fermat. Chaque fois que possibles, il évitait les distractions attachées au fait qu’il était un membre de la faculté et travaillait chez lui, où il pouvait se retirer dans son grenier. Là, il essayait de développer les techniques connues, espérant bâtir une stratégie contre la conjecture. Dès lors qu’il s’était attaché à la démonstration, Wiles prit la décision surprenante de travailler dans l’isolement et le secret complet. Pour trouver une solution, Wiles recourut à son approche ordinaire des problèmes difficiles. Il griffonne, il gribouille. Comme outil, une feuille de papier, un crayon et son esprit. Au bout d’une année de contemplation, Wiles décide de la stratégie à adopter. Voila comment il décrit sa demarche :
On entre dans la première chambre et elle est obscure. Complètement obscure. On se heurte aux meubles, on finit par connaître leur emplacement. Après quelques six mois, on finit par trouver le commutateur et soudain, la pièce est éclairée. On peut voir exactement où l’on se trouve. Puis on passe à la pièce suivante, et l’on affronte de nouveau six mois d’obscurité. Donc, chacune des percées qui ont été faites et qui sont parfois brèves, ne durant qu’un jour ou deux, sont l’accomplissement des mois de tâtonnements dans le noir, sans lesquels il n’y aurait jamais eu de lumière.
Au bout de six années d’efforts intenses, Wiles commençait à croire qu’il arrivait au terme. C’est à l’occasion d’une conférence que Wiles sorti de son isolement. Vers la fin de sa présentation, beaucoup de gens dans l’audience prenait des photos et le directeur de l’Institut s’était dûment préparé, avec une bouteille de champagne. Il y eut un silence solennel quand Wiles lut la preuve et lorsqu’il écrivit l’énoncé du dernier théorème de Fermat. Il déclara alors humblement:
Je crois que je m’arrêterai ici.
Avant de pouvoir crier victoire, il fallait que la preuve de Wiles soit minutieusement vérifiée par la communauté mathématique. Six mathématiciens se partagèrent la tâche. Des erreurs furent révélées, mais Wiles pouvait les corriger. Or, aux environs du 23 août 1993, une erreur supplémentaire fut décélée qui se voulu fort coriace. Wiles espérait pouvoir la corriger aussi facilement que les autres, mais en vain. Les mois passèrent sans qu’il puisse contourner le problème. Wiles rentra dans une longue période de doutes ou il failli même abandonner le problème. Il s’isola à nouveau et enfin le 19 septembre 1994, il corrigea cette erreur. Le mois suivant, Wiles compléta deux manuscrits contenant la preuve de la conjecture Taniyama-Shimura. Le dernier et grand théorème de Fermat n’en était alors qu’un conséquence. 350 ans après Fermat, le problème était résolu.
Il faut absolument regarder le film de Simon Singh sur la BBC en 1997 au sujet du théorème de Fermat et du travail d’Andrew Wiles :
Il faut aussi signaler la démonstration de Wiles disponible sur internet pour les courageux qui souhaitent étudier et comprendre comment s’est résolu un problème vieux de 350 ans.
Le prix Abel et la médaille Fields
Les deux plus grandes récompenses dans le monde des mathématiques sont la médaille Fields et le prix Abel. La médaille Fields récompense tous les quatre ans plusieurs mathématiciens de moins de 40 ans dont le travail et les résultats exceptionnels méritent d’être honoré. Le prix Abel est plus proche du prix Nobel puisqu’il récompense un mathématicien pour l’ensemble de sa carrière scientifique. Signalons ici une nouvelle fois qu’il n’existe pas de prix Nobel de mathématiques. Bien que la légende selon laquelle Alfred Nobel aurait été « cocufié » par Mittag Leffler un grand mathématicien de l’époque, la réalité est que l’inventeur de la dynamite Alfred Nobel souhaitait avant tout récompenser les domaines utilitaires et pratiques en pointe dans les sciences expérimentales et sociales.
Malgré sa démonstration publiée en 1993, Andrew Wiles n’a pas eu la médaille Fields en 1994 alors qu’il était aux yeux de tous le favori. Ce n’est pas son âge, 41 ans en 1994, qui en est la cause, mais plutôt le trou dans la démonstration qui à la date de la remise de la médaille n’était toujours pas résolu et qui ne fut complétement vérifié qu’en 1995. Cependant en 1998, lors de la remise des médailles Fields au congrès international des mathématiciens, Andrew Wiles reçu la plaque d’argent de l’Institut Mathématique International en reconnaissance de sa démonstration du theorème de Fermat-Wiles.
En 2016, comme courronement de sa carrière exceptionnelle de mathématicien, Andrew Wiles reçu le prix Abel :
Pour sa démonstration stupéfiante du dernier théorème de Ferlmat en utilisant la conjecture de modularité pour les courbes elliptiques semi-stables ouvrant une ère nouvelle en théorie des nombres
Voici une vidéo en anglais où Andrew Wiles est interrogé suite à l’obtention du prix Abel :
Le dernier théorème de Fermat : une passion jusqu’à la folie
Je ne peux pas terminer cet article sans parler des innombrables mathématiciens et amateurs qui se sont essayés à la démonstration du théorème de Fermat. L’histoire romanesque de ce théorème, le manque de place dans une marge, et surtout le fait qu’il soit un des rares théorème mathématique dont l’énoncé est très facile à comprendre, ont conduit de nombreux amateurs à tenter leur chance.
On pouvait penser que la démonstration d’Andrew Wiles allait arrêter ce flot de chercheurs amateurs : loin de là ! Les preuves soit-disant plus simples continue à affluer et la possibilité de publier de tels résultats sur internet a encore accentué ce phénomène.
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